Anne Bouchara

Fantômes

Mes fantômes ne font pas peur. À vrai dire, ce ne sont pas des fantômes. Mes proches qui ont rejoint le monde des morts reviennent parfois me voir en rêve. Je reconnais bien leurs traits. Quelquefois, ils deviennent un peu transparents ou leur peau se voile d’une teinte gris terne. Ils passent alors sous une douche lumineuse qui leur redonne des couleurs. La tessiture de leur voix, le grain de leur peau et même leur parfum sont identiques à ceux qu’ils avaient lorsqu’ils étaient en vie. Ils me disent des paroles à transmettre aux autres vivants, ce que je ne fais jamais. Les morts viennent me voir en rêve, mais je garde le secret.

Parfois, la nuit, ils s’assoient au bord de mon lit, me prennent les mains – les leurs sont un peu froides – et déposent sur ma joue un baiser. D’autres fois, ils tirent ma couette comme pour me signifier qu’il est l’heure de se réveiller. Leur présence m’encourage à me lever même si je suis fatiguée.

Lorsque j’évoque des paroles ou des expressions qu’avait l’habitude d'employer une personne disparue, je ne parle pas au passé. J’emploie un présent intemporel, car ces phrases si souvent répétées parviennent en écho du monde des morts à celui des vivants.

Il arrive, alors que je suis bien réveillée, que les morts apparaissent. Ils se font alors très discrets. Le reflet flou sur une vitre d’une personne vivante prend les traits de quelqu’un qui est mort. Dans ce reflet éphémère, il vient me dire bonjour. Bien sûr, je ne parle pas de ce phénomène à ceux qui m’entourent.

Peut-être qu’eux aussi reçoivent parfois la visite des morts sans me le dire.