Anne Bouchara

Les Crimes du Futur

Hier, un corps broyé et démembré a été retrouvé sous un arbre, gisant parmi de hautes herbes. Un crime aussi atroce ne s’était pas produit depuis des années.

Il y a bien longtemps que les grands criminels ont déjà tous été jugés : ceux qui fabriquaient des objets qui ne servaient à rien, ceux qui voyageaient dans des engins volants en étouffant le ciel, ceux qui envoyaient dans l’espace des milliers de machines dont les lumières cachaient les étoiles de l’univers.

Puis, il y eut de nouveaux tribunaux. On y jugeait par exemple ceux qui avaient écrasé une araignée venimeuse. La cause de légitime défense atténuait parfois la peine du meurtrier. Mais se posait toujours cette question : qui de l’être humain ou de l’araignée avait le plus le droit de vivre ? Les débats duraient longtemps. Aujourd'hui, un tel crime ne se produirait plus. Notre connaissance de la Nature nous permet de communiquer facilement avec n’importe quel autre animal et de nous éloigner de son territoire sans risque.

Hier, sous l’arbre, un homme discutait avec un ami lorsqu’il sentit quelque chose lui chatouiller le bras gauche. Sans réfléchir, comme mu par un réflexe ancestral, il porta sa main droite à l’endroit de la gêne, tout en continuant sa conversation. En face de lui, son interlocuteur devint pâle et ne put plus prononcer un mot. Il ne pouvait détacher son regard de la main de l’homme dans laquelle gisait un corps déjà sans vie et atrocement mutilé. D’un geste indifférent, l’homme secoua la main et fit tomber dans l’herbe ce corps broyé et démembré d’une fourmi.