Anne Bouchara

Retour de vacances

Depuis que l’éclairage automatique a été installé dans l’escalier aveugle de mon immeuble, je dois toujours me reculer un peu et agiter les bras pour que la lumière s’allume et que je puisse enfin fermer ma porte à clé.

Nous sommes le vingt-deux août. Je reprends le travail après trois semaines de vacances. Toujours un peu difficile de quitter le rythme estival, mais contente de retrouver mes collègues. En sortant de chez moi, j’esquisse ma chorégraphie habituelle sur le palier mais la lumière ne s’allume pas. Mon voisin sort de son appartement, situé au milieu du palier, ce qui déclenche l’éclairage. Je lui dis “bonjour” mais il ne me répond pas. J’ai l’impression que les discussions sur le changement de syndic entamées au début de l’été se sont envenimées pendant mon absence. Les camps des « pour » et des « contre » ont dû se renforcer. Moi, j’étais plutôt pour, étant donnée l’inaction du syndic actuel. La tension en est-elle arrivée au point qu’on ne se salue plus ? Mon voisin attend l’ascenseur et j’emprunte les escaliers.

La concierge astique le sol du hall d’entrée comme tous les matins. Je lui offre un souriant et sonore « Bonjour, Madame » mais elle ne réagit pas. Ce n’est pas son habitude. L’ambiance dans l’immeuble semble décidément tendue. Alors que j’ouvre la porte pour sortir, elle peste : « Ah, ces courants d’air ! », sans me regarder.

Il y a encore peu de monde dans la rue et de nombreuses boutiques arborent encore des affichettes indiquant leur fermeture estivale. Le ciel est bleu et l’air est doux ce matin. Je me sens légère et j’ai l’impression de flotter jusqu’au métro. J’ai hâte de rejoindre mes collègues. Eux, au moins, seront souriants !

La rame de métro est encore relativement vide. C’est agréable de reprendre le travail avant le retour de la foule et l’agitation de début septembre.

En arrivant au travail, je fais un tour dans le laboratoire mais il n’y a personne ; ils ont dû descendre prendre un café. Je pose mes affaires dans mon bureau et allume mon ordinateur puis je descends d’un étage. En m’approchant du coin café, je n’entends pourtant aucun bruit. D’habitude fusent quelques rires ou voix enjouées. La plupart de mes collègues sont pourtant bien là, mais silencieux, les yeux baissés. Certains chuchotent entre eux. Que se passe-t-il ? Je les salue d’un grand bonjour mais personne ne me répond. Seule Amélie lève la tête dans ma direction mais semble regarder au-delà de moi. Mon collègue Mathieu, qui revient aussi de vacances aujourd’hui, entre dans la pièce avec un grand sourire. Il arbore un bronzage doré. J’espère qu’il va réussir à changer l’ambiance !

« Hello ! » lance-t-il. À ce moment-là, Amélie se penche vers lui et lui chuchote quelque chose. Le visage de Mathieu s’allonge et devient soudain très pâle.

J’ai réussi à entendre quelques mots : « Lise », « vacances », « accident », « sur le coup ».