Anne Bouchara

Vu de dos

Quand Lise rencontre Gauthier à l’anniversaire d’Angèle, elle est séduite par ses yeux bleus, sa bouche pulpeuse qui s’étire en un sourire, sa fossette, son menton fort. Ils discutent cinéma et promenades dans Paris. Le visage de Gauthier s’anime et son regard s’illumine. Sa voix est grave et mélodieuse.

Lorsque Gauthier va se resservir au buffet, Lise découvre son cou légèrement rentré dans ses épaules, ses cheveux un peu hirsutes comme ceux d’un bébé. De dos, cette fragilité et cette immobilité contrastent avec la lumière que dégage son visage. Lise a une étrange intuition qu’elle ne prend pas le temps de transformer en pensée.

Ils se donnent rendez-vous pour un verre le surlendemain à 21 heures. Lise est ponctuelle. À 21h15, Gauthier n’est toujours pas arrivé. Vers 21h30, Lise tente un appel, sans réponse. Un quart d’heure après, elle retourne vers la bouche de métro, à pas lents.

Le lendemain, toujours aucune nouvelle. Dans l’après-midi, Angèle appelle Lise, d’une voix tremblante : “ Je t’ai vu discuter avec Gauthier jeudi. On vient d’apprendre qu’il a eu un accident de vélo hier soir. L’arrière de sa tête a heurté un trottoir, ses cervicales ont été brisées. Il est mort sur le coup. ”

Lise se rappelle l’image de cette tête vue de dos jeudi soir, fragile comme celle d’un bébé, cette nuque immobile mais alors bien vivante. Elle revoit le visage de Gauthier, imagine ses yeux bleus définitivement clos et sa bouche à jamais muette.