Anne Bouchara

Décor de mots

En début de semaine, j’ai vu sur les réseaux sociaux que Patrick Modiano passait dans une émission télévisée traitant de littérature. Tous ses livres se ressemblent et je me disais que certains mots y reviennent souvent : lisière, Paris, perdue, inconnue, par effraction, flou. Malgré cette impression de répétition, j’ai lu plus d’une vingtaine de ses romans et ne cesse de vouloir découvrir ses nouveaux livres.

Comme en écho à ma pensée du début de la semaine, une lettre, lue vendredi soir, me parle des mots des auteurs.

Les écrivains décorent leur univers de mots choisis, qui font reconnaître d’emblée leurs textes. Comme quelqu’un qui déménagerait souvent mais qui aurait toujours, accrochés dans son appartement, ce tableau et cette photographie qui aussitôt le désignent. Quel serait l’équivalent littéraire du déjà-vu ? Un déjà-lu ?

Les romans de Modiano m’évoquent d’autres mots : brume, gris, brouillard, porte dérobée. Je ne sais pas si ces mots-là figurent vraiment dans ses livres ou s’ils sont juste le résultat de mes lectures passées par les méandres de mon cerveau.

Et si je cherchais dans ma mémoire les mots de mes autres auteurs préférés ? Quels sont ceux de Boris Vian ? Puis-je m’en souvenir sans ouvrir quelques-uns de ses nombreux livres rangés dans ma bibliothèque ? Je reconnais pourtant n’importe laquelle de ses phrases. Dans les coins de mon cerveau où se balade Boris Vian, je trouve ces quelques mots : fille, jambe, jaune, lanterne, fleurs, grillé, joli, craquelle.

Je me prends au jeu : Erri De Luca : mer, salée, crête, paroi, papillon, yeux, lèvres. Et Haruki Murakami ? disparaître, rue, montée, têtard, seul, bibliothèque. Chez Albert Cohen, que je n’ai pas relu depuis longtemps, je ne saurais dire quels sont les mots qui ornent le plus souvent ses textes. Chez lui, le décor est plutôt un enchaînement de mots accrochés les uns aux autres, refusant d’être séparés par un point ; une guirlande de phrases de plusieurs pages.

Je pourrais écrire une phrase à la Boris Vian, ou à la Erri De Luca, cela aussi serait un jeu amusant. Et si je mélangeais les mots de tous mes auteurs favoris, pour décorer ma maison d’inspirations variées, y trouverais-je une improbable harmonie ?

À la lisière de la ville, une fille, suivie par un papillon jaune, une jolie lanterne à la main, remonte la rue, seule, vers une mystérieuse bibliothèque, peinant comme si elle gravissait une paroi rocheuse pour parvenir à une crête.