Être et écrire
Lise a toujours été écrivain. Elle l’était sûrement déjà avant de savoir lire et écrire, elle l’était peut-être déjà avant sa naissance.
En vacances, à l’Île d’Oléron, elle avait à peine un an et demi, au-dessus de son lit à barreaux, le plafond était lambrissé de bois de pin. Dans les irrégularités du bois, les taches sombres et les nervures ambrées, elle voyait des yeux et des nébuleuses dont elle ignorait pourtant encore l’existence, mais qui étaient comme un souvenir remontant à des temps ancestraux. Elle avait compris qu’à travers les choses, il y avait autre chose que les choses. Dans ce présent au-dessus de son lit, se mêlaient un passé et un futur inextricables, qu’il lui faudrait bien essayer de démêler. Pour cela, il lui serait indispensable de les raconter.
Vers l'âge de quatre ans, elle découvrit qu’on pouvait s’amuser avec les sons et faire rimer les mots. Quand elle sut écrire, ce furent les poèmes sur la nature et l’étrange relation que l’être humain a construit avec elle. Et quelques histoires pour exorciser ses craintes et décrire déjà l’avenir ou les mondes invisibles. Elle écrivait tout le temps, ne faisait pas lire ses textes, sauf parfois à ses parents, et ne les réécrivait jamais comme si elle avait peur de se trahir. Vers l’âge de quatorze ans, elle reçut en cadeau un carnet qui se fermait par un cadenas. Elle découpa le morceau de carton qui permettait de fermer le carnet, colla la clé à l’intérieur et écrivit en première page “Journal public”. Aurait-elle pu vivre sans écrire ? Non. Et sans être lue ? Longtemps, ce fut le cas, et elle n’en éprouvait pas de frustration. Elle savait qu’un jour, ses textes seraient lus, puisqu'ils n’étaient pas fermés à clé.
À dix-sept ans, elle écrivit son premier roman, que seuls ses parents avaient lus. C’était les aventures loufoques de faux jumeaux. Vers l’âge de quarante ans, elle commença à réécrire ses textes et à les travailler. Elle en diffusa quelques-uns et se contentait de quelques lecteurs sensibles à son écriture et assidus. Elle savait bien qu’un jour d’autres personnes la lirait, même si cela ne devait advenir qu’après sa mort. Peu importait.
L’essentiel, c’était d’avoir écrit.