Anne Bouchara

L'Épreuve de Philo

Le surveillant distribue les sujets. Ce sera la seule épreuve commune du bac, comme un vestige du passé. Parcours Sup est déjà enclenché, chacun sait déjà plus ou moins dans quelle formation il sera accepté. Cette épreuve est presque une mascarade, une relique du passé dans le présent.

Je découvre le sujet. Seulement trois mots : Le temps fuit. Je n’ai jamais vu de sujet aussi court dans les annales. Que dire là dessus ? Les philosophes qui ont écrit sur le temps ? Je ne m’en souviens plus. Je pense à tous ces mois à la maison, à toutes ces soirées passées sur les réseaux sociaux ou les jeux vidéos, à tout ce temps englouti. Il m’est souvent arrivé de me dire : “Allez, je regarde 2-3 vidéos sur YouTube, un quart d’heure max”, et une heure et demie s’est écoulée. J’aurais mieux fait de réviser la Philo. Quelquefois, j’étais fier de moi : je prenais un roman et en un quart d’heure, la vie du personnage principal avait progressé de plusieurs mois. J'avais alors l’impression de retenir le temps.

Les autres candidats autour, ont commencé à écrire. Certains ont l'air de rédiger calmement un plan au brouillon. Une fille, à gauche en diagonale, a déjà rempli une page entière, directement sur sa copie. Le surveillant déambule entre les tables. J’essaie d’imaginer le bas de son visage derrière son masque. Bon, allez, concentre-toi ! Une heure s’est déjà écoulée et je n’ai rien écrit. Je sens mes mains devenir moites.

Pendant les confinements, j'avais l’impression que le temps était flexible. D'habitude, le temps est une corde tendue avec un emploi du temps très précis : cours au lycée, devoirs, entraînements de hand, sorties avec les potes le samedi, compétitions le dimanche. Pendant les confinements, le temps était comme une corde à laquelle on aurait laissé du mou. La corde peut alors former un relief, un creux ou une boucle. Certains jours, j’avais l’impression d’avoir beaucoup de temps pour étudier, lire, aller courir dans la campagne autour de chez moi, appeler mes grands-parents. Mais d’autres jours, j’étais happé dans le temps creux. Le prétexte était de se retrouver entre potes sur un même jeu en ligne, mais très vite, le temps nous échappait et il était soudainement deux heures du matin.

La fille en diagonale à gauche a déjà rédigé une copie double. Ceux qui avaient écrit tranquillement leur plan, poursuivent sur le même rythme à dérouler leur dissertation sur leur copie. Quelqu’un mange une barre énergétique, comme une pause bien méritée. Je sens ma gorge se dessécher. Je saisis ma gourde et avale une gorgée d’eau. Déjà deux heures sont passées et ma copie est désespérément blanche.

Il me reste deux heures, la moitié du temps, je ne sais toujours pas ce que je vais écrire.