Anne Bouchara

La Légende du Virus couronné

La légende raconte qu’en une époque très lointaine, les êtres humains pouvaient vivre vieux, très vieux. Beaucoup avaient les cheveux qui devenaient blancs. Certains même les perdaient. Leur peau se fripait, un peu comme celle des nouveau-nés. Ils ressemblaient à de grands bébés voutés.

Aujourd’hui, nous avons quelques vieux sages, bien sûr. Mais la plupart des gens s’en vont dans l’Autre Monde vers l’âge de 40 ans. Tout commence par une petite toux. Quand ils marchent longtemps, ils sont un peu essoufflés. Après quelques semaines, on dit qu’une nuit, ils font ce rêve : ils vivent dans les fonds marins. Dans le rêve, ils arrivent à respirer grâce à un masque qu’un grand tuyau relie à la surface. Ils flottent paisiblement dans les eaux, s’y déplaçant en trois dimensions aussi aisément que si c’était leur milieu naturel. Puis, soudainement, l’extrémité du tuyau qui relie leur masque à la surface s’enfonce dans l’eau. Dans leur rêve, les dormeurs s’étouffent. Dans la réalité aussi. Sûrement qu’au moment de leur mort, ils pensent que ce n’est qu’un rêve. Quelques-uns ont réussi à se réveiller, à reprendre leur respiration et c’est toujours ce même rêve qu’ils racontent. La plupart d’entre nous ont moins de 40 ans. Nous vivons avec la nature et les saisons. Nous honorons les morts, qui continuent de nous accompagner.

La légende dit qu’à cette époque très lointaine, nous en voulions à nos aînés d’avoir déréglé la Nature en très peu de temps. Ils avaient inventé un système où les morceaux pour fabriquer un objet venaient de plusieurs endroits de la Terre, vraiment très éloignés les uns des autres. Des engins circulaient sur les mers, dans le ciel et sur la terre pour transporter tous ces morceaux. Quand l’objet était terminé, il était envoyé de nouveau partout dans le monde. Ça allait et venait dans tous les sens, en crachant de la fumée. On fabriquait et on vendait plein de choses inutiles. Comme cela, on gagnait assez d’argent pour s’acheter à manger, des vêtements, des médicaments et un logement. Si l’on gagnait trop d’argent, on s’achetait aussi des choses inutiles. Certains ne gagnaient pas assez d’argent, même pour s’acheter ce qui était utile. Le monde était fou.

Dans les pays plus riches, la légende raconte que nous avions fait de grandes manifestations pour que les adultes arrêtent de faire circuler des engins dans tous les sens et de mettre dans la mer plein de choses inutiles à la place des poissons. Mais il ne se passait rien. L’été, il faisait de plus en plus chaud. Il y avait eu d’immenses feux de forêt dans des pays très lointains où les forêts étaient très grandes. Mais il ne se passait rien. La Terre étouffait.

Certains d’entre nous vivions dans les villes, des endroits d’où les arbres et les herbes avaient été arrachés. C’était très étonnant, là où ils vivaient, les gens avaient tout recouvert d’une substance noire inerte qui devenait grise au cours du temps et sur laquelle rien ne pouvait pousser. Toutes les maisons étaient construites en pierre. On toussait, on éternuait, on respirait mal. Nous étions souvent pâles à force de ne pas voir le soleil et de respirer un mauvais air. Nous voulions survivre.

Les enfants qui vivaient sur des continents pauvres devenaient parfois des esclaves dans des usines ou dans des mines. Dans celles d’Afrique, nous devions prélever des métaux pour fabriquer des appareils très sophistiqués qui étaient vendus dans les pays riches. Avec ces appareils sophistiqués, les gens s’envoyaient des textes – je ne sais pas comment ça marchait – et ils se transmettaient leurs frayeurs. C’est ainsi que parfois plein de gens étaient effrayés ou en colère en même temps. C’est ce que dit la légende.

La légende raconte qu’il est alors arrivé pour nous sauver. Un genre de roi, si j’ai bien compris, mais minuscule. Si minuscule qu’il en était invisible. C’était le Virus couronné. Il ne nous attaquait presque pas, nous les plus jeunes, mais nous étions capables de le transmettre. Il se transmettait très facilement d’une personne à l’autre. Comme en ce temps, des engins allaient en tous sens dans les airs, sur la terre et sur les eaux, le virus aussi s’est servi des machines volantes, il a pris les bateaux monstrueux qui parcouraient les océans pour apporter des choses qui venaient depuis l’autre bout du monde. Il s’est servi de tout ce trafic pour se répandre très vite sur la Terre entière, qui est pourtant très grande.

Dans le pays qui s’appelait la France, il était arrivé depuis longtemps, mais comme il était minuscule on ne l’avait pas vu. Des gens tombaient malades. Comme c’était l’hiver, les médecins pensaient que c’était une maladie habituelle. Petit à petit – je ne sais pas comment vu qu’il était invisible – on a remarqué qu’il était là. Alors, un discours du Grand Chef a recommandé la prudence aux gens.

Dès le lendemain, dans la ville principale du pays, les trains sous la terre se sont vidés. La légende raconte que dans les grandes villes, les gens circulaient sous la terre au lieu de rester à la surface. Certaines personnes dans les grandes villes savaient mieux se déplacer sous la terre qu’à la surface. Parfois, quand ils devaient se déplacer en plein air, ils se perdaient car ils ne connaissaient que les trajets souterrains, comme les rats. Les trains sous la terre se sont vidés car les gens avaient peur d’y attraper le virus mais comme le soleil brillait, les terrasses s’étaient remplies. À ces endroits en extérieur, les gens se retrouvaient pour boire une boisson chaude toute noire dans une petite tasse. Je ne sais pas bien pourquoi les gens se réunissaient pour faire ça, mais ça avait l’air très courant, surtout dès qu’il faisait beau. Alors même qu’on leur avait dit de faire attention et de rester à distance les uns des autres, ils s’étaient regroupés sur ces terrasses. Le virus était content, il circulait de joue en joue lorsque les gens s’embrassaient ou de main en main lorsqu’ils se serraient la main. Le virus circulait sur les appareils très sophistiqués que les gens avaient tous à cette période et sur lesquels ils se montraient des images ou des textes, ces appareils parfois passaient de main en main. Le virus adorait être sur ces petits appareils que les gens avaient l’habitude de toucher frénétiquement, je ne sais pas bien pourquoi. Le virus se promenait sur les sièges et ceux qui venaient s’asseoir après le récupéraient. Il était content ainsi de pouvoir se répandre et atteindre des organismes accueillants.

Le Moyen Chef avait alors dit : plus de regroupement en terrasse ! Les gens avaient arrêté mais ils étaient allés se promener avec tous leurs enfants car le soleil brillait. Les gens étaient fascinés par le soleil. Comme ils ne pouvaient plus l’honorer autour d’une boisson noire en terrasse, ils s’étaient retrouvés dans des endroits qu’ils appelaient des parcs qui, comme leur nom l’indique, servaient à parquer les gens. C’était les seuls endroits qui n’étaient pas recouverts de la substance noire inerte. Pour honorer le Soleil, les gens s’amalgamaient dans ces tout petits espaces de verdure. Durant ces journées-là, ils s’étaient regroupés malgré le discours du Grand Chef et malgré le discours du Moyen Chef. Dans ces endroits, les enfants en pleine forme courraient les uns après les autres en criant les yeux écarquillés et disséminaient le Virus couronné en tous sens.

Le lendemain, le Grand Chef leur avait dit : « Restez chez vous ». Ils avaient le droit de sortir pour quelques raisons très précises : aller travailler, acheter de la nourriture ou se dégourdir les jambes. Dans les jours qui ont suivi, les gens se sont déguisés dans l’une de ces catégories. Ils prenaient tous un air très sérieux. Ils marchaient soit très vite, soit très lentement comme si le sol était cassant. Ils étaient munis de leur attestation, un papier qui expliquait pourquoi ils étaient sortis. Mais le Virus couronné s’en moquait. Il ne voyait pas leur tenue et encore moins l’attestation de sortie qu’ils avaient dans leur poche ou dans leur sac. Certains devaient croire qu’en les prémunissant d’une amende cette attestation les prémunissaient du Virus. Des gens tombaient malades. Pourtant, j’avais mon laisser-passer, pensaient-ils. Certaines personnes tombèrent très malades et moururent, d’autres furent sauvées. Certaines tombèrent un peu malades et d’autres pas du tout malades.

La légende dit qu’à cette période très lointaine, les personnes en très mauvaise santé étaient maintenues en vie, même si elles souffraient terriblement. On isolait les plus vieux dans de grandes maisons où d’autres personnes que leur famille s’occupaient d’eux. Lors de l’épidémie, les familles n’avaient pas le droit de leur rendre visite. Dans ces grandes maisons où tout le monde était fragile, si le virus couronné arrivait, il tuait tout le monde. La légende dit que c’est ainsi qu’on traitait les gens, on mettait tous les gens fragiles ensemble. Alors forcément, ils mourraient aussi tous ensemble. Pendant la période du Virus couronné, même lorsqu’ils étaient mourants, on ne pouvait pas leur rendre visite. On n’avait plus le droit de rester auprès des mourants, on n’avait plus le droit d’assister à l’enterrement de ses amis, les cérémonies étaient réduites à quelques personnes. On ne pouvait plus serrer dans ses bras ni embrasser les gens qu’on aimait.

Pour maintenir le plus de monde en vie et parce qu’on avait honte de ne pas pouvoir bien soigner tout le monde, on isolait les vieux et les mourants pour éviter à l’épidémie de se propager. Ce qui faisait l’humanité, le respect des anciens, était déjà bafoué depuis longtemps. À cette période-là, on en était venu à les isoler de leur famille et à les laisser mourir seuls. Les êtres humains étaient presque innombrables en ce temps-là. Si on avait voulu tous les compter, cela aurait pris presque 240 ans sans s’arrêter, en ne passant qu’une seconde par être humain. L’humanité voulait garder en vie chacun de ses représentants. Garder en vie les gens au lieu de garder en vie ce qui faisait l’humanité.

En ce temps-là, il y avait une catégorie de personnes, les Esdéhefes, qui étaient des gens qui n’avaient rien, pas de choses inutiles mais même pas ce qui était utile. Ils vivaient dehors, assis par terre sur les revêtements sombres et inertes qu’on appelait les trottoirs. Ils vivaient là. Parfois nous demandions : « Pourquoi le monsieur, il n’a pas de maison ? » et les parents accéléraient le pas, l’air gêné. Personne ne voulait être à leur place mais c’était normal que certains dorment dans le froid ou la chaleur, tandis que d’autres dormaient à l’abri chez eux. D’habitude on les laissait par terre. Quelques personnes les aidaient. Ou bien des passants leur disaient bonjour ou leur donnaient des pièces ou quelque chose à manger, mais on les laissait par terre, sur le trottoir. À l’époque du Virus couronné, certains étaient seuls, dans la rue, sans aide. Le virus couronné qui aimait beaucoup se promener dans les rues s’est attaqué à eux, car ils ne pouvaient pas se laver. D’autres ont pu être logés dans un vrai endroit où ils pouvaient dormir et se laver.

Il n’y avait plus d’école. Les parents étaient obligés de rester à la maison pour s’occuper de nous. Dans certaines familles, c’était merveilleux car on restait toute la journée avec nos parents et parfois on faisait un peu ce qu’on voulait. On pouvait jouer tout l’après-midi dans le jardin si on voulait. Dans d’autres familles, c’était difficile, car en ce temps-là, certains parents étaient très méchants avec leurs enfants, les insultaient et les tapaient. C’est parce que le monde était fou. Ceux-là auraient préféré aller à l’école au lieu de rester à la maison. C’est pareil pour les personnes qu’on appelait des femmes. Car à cette époque on différenciait les personnes selon qu’elles puissent transporter des enfants dans leur ventre ou non, au lieu de les distinguer en fonction de la qualité de leur chant, de leur capacité à grimper aux arbres ou de leur talent à écouter. La légende raconte qu’à cette époque-là, les personnes qu’on appelait des femmes étaient parfois insultées et frappées, même dans leur maison. Dans cette période où les gens restaient chez eux, cela arrivait dans certaines maisons. Dans d’autres familles, c’était la fête, car heureusement, le monde n’était pas devenu fou partout.

Dans les villes, tout était devenu calme. Nous pouvions nous promener dans les rues, les plus jeunes d’entre nous jouaient au ballon sur la route où il n’y avait plus d’engins roulants. Comme les gens ne pouvaient pas sortir de chez eux, les parents nous faisaient jouer au pied des immeubles. Les cours, habituellement vides, s'emplissaient de la vie des enfants. Nous faisions quelques mètres à vélo ou jouions aux raquettes en soufflant le virus partout, sans faire exprès. De nouveau on entendait nos voix dans la ville, elles n’étaient plus étouffées par le bruit des moteurs. Comme les parcs étaient fermés, nous nous disséminions dans toutes les rues de la ville et nos petites voix aussi. Le soir, les familles faisaient des promenades après le dîner, un peu comme en vacances. Les gens s’habillaient comme s’ils étaient au bord de la mer. Tout était silencieux, et des fenêtres ouvertes, on entendait les voix aiguës des plus jeunes. Les enfants réapparaissaient, avec le ciel bleu et l’air respirable.

Petit à petit, de plus en plus de gens sont tombés malade. Le travail a été mis au ralenti. L’air est devenu plus respirable. Plus l’air devenait respirable, plus les grands étouffaient. La maladie les étouffait. Les enfants continuaient à respirer normalement et même de mieux en mieux avec l’air qui devenait plus pur. On dit même qu’à cette période-là, certains oiseaux, qui avaient disparu des grandes villes depuis longtemps, sont réapparus. Dans le ciel, il n’y avait que du bleu, plus de balafres blanches en tous sens, qui venaient le gribouiller. Il semblait que tout rentrait enfin dans l’ordre. Le soir, le ciel n’avait jamais été aussi limpide. Dans la capitale du pays qui s’appelait la France, on arrivait à voir les étoiles dans le ciel. La légende raconte qu’habituellement, elles étaient cachées par la pollution, comme si l’univers n’existait pas.

Nous continuions à transporter la maladie malgré nous. Les adultes ne pouvaient rien faire contre nous. Ils ne pouvaient pas nous isoler tous ensemble tous seuls. Au Virus couronné, les plus âgés ne pouvaient pas parler. Ce n’était pas comme avec un autre être humain ou un animal ou même une plante. Non, ce n’était pas ça. On ne pouvait vraiment pas lui parler. On ne se sentait écouté qu’en l’élevant à la hauteur d’un roi. Ce n’est qu’ainsi qu’il vous laissait tranquille. Il fallait l’honorer comme un roi. Il était partout, invisible, puissant et justicier. Les vieux, en réalité, savaient bien pour quelles erreurs ils étaient punis. La légende raconte que nous, les plus jeunes, le mettions à la hauteur d’un roi car on se rendait bien compte qu’il venait nous aider. C’était notre allié. C’était même peut-être nous qui l’avions fabriqué. La légende ne le dit pas. Nous étions effrayés et tristes de voir mourir nos grands-parents et bientôt nos parents, mais soulagés de pouvoir enfin respirer un air pur.

Grâce au Virus couronné, on s’est rendu compte combien le travail des gens qui ramassaient les saletés, des gens qui soignaient les autres, des gens qui fabriquaient la nourriture et la vendaient était nécessaire. Selon la légende, les gens qui faisaient ces métiers ne recevaient pas beaucoup d’argent. À cette époque lointaine, les gens ne recevaient pas tous la même somme d’argent. On considérait que le travail de certains valait plus que celui d’autre. Mais ce n’était pas celui des gens qui soignaient, nourrissaient et éduquaient qui valait le plus. Apparemment, c’est celui de gens qui discutaient toute la journée et tapaient sur des appareils sophistiqués qui gagnaient beaucoup d’argent. Mais personne ne sait bien à quoi servait ce qu’ils faisaient toute la journée. C’est ce que raconte cette étrange légende.

Il y a eu des morts, de plus en plus de morts, puis ça a diminué et l’épidémie a cessé petit à petit. Les gens sont retournés travailler. Chez soi, on n’avait rien appris à faire d’autre pour gagner de l’argent. On avait appris à cuisiner, chanter, danser, dessiner, parler de loin à sa famille et à ses amis – les appareils sophistiqués permettaient de faire cela et même, raconte la légende, de se voir à distance – à observer la nature dehors, les oiseaux passer dans le ciel, les fourmis se promener sur le bord d’une fenêtre, les tourterelles faire leur parade amoureuse. On avait appris à ne rien faire, à s’allonger sur un fauteuil ou un canapé au soleil mais rien pour gagner de l’argent. Alors ceux qui ne l’avaient pas perdu ont recommencé le même travail.

Le virus couronné s’est tu. Il a presque disparu car les gens faisaient très attention de ne pas le faire circuler. On avait un peu changé. Mais on n’avait pas inventé de nouveaux emplois pendant ce temps. On avait discuté, mais on n’avait pas inventé une nouvelle façon de vivre tous ensemble sur la Terre. On a recommencé comme avant. Quelques détails changeaient cependant. Surtout dans les grandes villes. Les gens portaient des masques. On ne voyait que leurs yeux. Parfois, on ne se reconnaissait pas dans la rue ou on prenait une personne pour une autre. Nous étions une foule muselée. Le nez couvert, on ne pouvait pas respirer à pleins poumons. La bouche couverte, on ne pouvait pas se faire entendre. Certains portaient des masques de la même couleur que leur peau et alors il semblait que, réellement, ces personnes n’avaient plus de nez ni de bouche, qu’elles ne pouvaient plus parler, ni sourire, ni respirer. Seuls leurs yeux pouvaient encore s’exprimer et appeler au secours.

Le bruit est revenu. Dans les villes, la légende dit qu’il y avait alors un bruit de fond comme un tremblement de terre permanent et des bruits plus intenses provoqués par toutes sortes de machines. Parfois, on apercevait encore, dans la rue, un enfant lever la tête vers ses parents pour leur parler. Mais sa voix était couverte par le bruit d’une énorme scie à moteur qui taillait un arbuste qui avait été laissé libre pendant deux mois ou par celui d’un engin à deux roues qui partait livrer à quelqu’un une chose inutile. Peu à peu bien sûr, des engins se sont remis à circuler dans le ciel et sur les océans. Les gens qui n’avaient pas d’espace se sont de nouveau rencontrés dans des endroits exigus. Les animaux, eux, ont dû de nouveau se cacher. Comme plus personne n’était malade et qu’on avait inventé un vaccin, les gens ont retiré leurs masques et se sont embrassés.

La légende raconte que quelques mois ou quelques années plus tard, il est revenu. Mais il s’était transformé. Comme on ne l’avait pas assez pris au sérieux, cette fois-ci, il s’était orné d’une double couronne. Il était devenu un empereur. Il a voyagé grâce aux machines qui s’étaient remises à circuler sur les eaux, dans les airs et sur la terre. Comme son ancêtre, il se posait çà et là sur les objets et sur les gens qui allaient de nouveau en tous sens dans le monde, qui est immense. Le Virus à double couronne s’attaqua même à ceux qui avaient été immunisés lors de la première épidémie. Les gens de nouveau durent rester chez eux, durent arrêter de se voir, de se toucher. Ceux qui n’avaient pas perdu leur travail pendant la première épidémie le perdirent à ce moment-là. Ils restèrent chez eux sans rien faire et ils étaient trop inquiets pour se concentrer sur une quelconque activité ou distraction. Ils s’ennuyaient. À cause de ce Virus à double couronne qui était plus fort que le Virus couronné, beaucoup sont morts. À cause du manque de travail, à cause du manque d’affection, à cause de l’ennui, beaucoup d’autres sont morts encore. Restèrent les enfants et quelques adultes. On organisa de grands orphelinats. Les jeunes s’occupaient des enfants.

On s’est organisés. On a planté de quoi manger. Il y en avait assez pour tout le monde, car il n’y avait pas grand monde. La légende raconte que c’est à partir de cette période que chacun a fait ce qu’il lui plaisait. On n’eut plus besoin de faire faire des choses inutiles à un tas de gens pour leur donner un travail. Les enfants qui avaient un peu grandi et qui organisaient le monde avait plein d’idées de métiers intelligents. Certains chantaient au coin des chemins, d’autres inventaient des recettes pour régaler les papilles. Certains fabriquaient de très beaux vêtements pour embellir les corps. Bien sûr, on pouvait changer de métier quand on le voulait. Il y avait assez à manger pour tout le monde. Ceux qui avaient étouffé d’air pollué durant leur enfance pouvaient de nouveau respirer. L’air était pur, on laissait leur place aux arbres, aux plantes et aux animaux. La légende raconte que c’est comme cela qu’est né le monde dans lequel nous vivons.

Bien sûr, c’est une légende. Je ne crois pas que ce soit possible qu’un jour, on ait pu circuler sous la terre et jeter de la fumée partout sur les mers, dans les airs et sur la terre. Je ne crois pas que des humains aient pu faire travailler des enfants dans des mines. Je ne crois pas que des humains aient pu laisser d’autres humains dormir dans le froid et sous la pluie. Je ne crois pas que l’intelligence humaine – qui est grande – ait pu différencier les êtres d’après autre chose que leurs qualités propres. Je ne crois pas que les humains aient pu vivre de cette façon à un moment de leur histoire.